samedi 19 octobre 2019

L'OGRE DE MON ENFANCE

L'OGRE DE MON ENFANCE
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Quand il montait les marches de la cage d'escalier,
qu'il s'arrêtait un temps sur le premier palier,
sur l'épais paillasson sur lequel il pestait,
il raclait ses chaussures pour que tombent les heures,
les moments de fatigues, souvenir de l'usine,
avant de pénétrer dans l'antre familiale.

Quand la porte s'ouvrait et qu'il apparaissait,
les mots disparaissaient, les gestes s'amenuisaient.
Papa était chez lui, le dehors n'entrait pas,
le dedans s'adaptant au rythme de ses pas.
Les ombres de la nuit investissaient les meubles
et son dos très massif étouffait la lumière.


Qu'il est loin ce pays du monde de l'enfance
dont l'adulte est banni, dont il rêve parfois,
que le temps de l'oubli efface peu à peu
ne laissant dans les cœurs qu'une douce mélodie.


A dix huit heures pétantes et pas une de plus.
Il quittait ses chaussures, rentrait dans ses chaussons,
rentrait dans sa famille, sa tanière, son fauteuil,
n'en bougeait plus d'un pouce, pas même d'une semelle
avant que ne sonne l'heure qui signe celle du dîner,
que ne tonne sa voix d'ogre s'écriant «tous à table»

Les enfants dans leur chambre restaient sur le qui vive
du devoir qui, sans fin, se devait d'être fait,
de peur d'être contesté, d'être remis sur l'ouvrage.
Passer avant sept heure la porte de sa chambre
laissait un arrière goût de culpabilité
qui  frisait la sanction, l'anathème paternel.


Qu'il est loin ce pays du monde de l'enfance
dont l'adulte est banni, dont il rêve parfois,
que le temps de l'oubli efface peu à peu
ne laissant dans les cœurs qu'une douce mélodie.



Dans l'atmosphère feutrée, chaleureuse d'un fauteuil,
Il ouvrait le journal et mâchouillant l'embout
d'une pipe nichée tout au creux de sa main,
aspirait la fumée en humectant ses lèvres.
Et quand il se levait, repoussait son fauteuil
qui raclait le plancher, c'était l'heure du repas

Maman dans la cuisine , tendait parfois l'oreille,
coupait quelques oignons, attentive, prévenante,
afin que tout soit prêt, que le couverts soit mis.
Les menus étaient faits de semaine en semaine.
La cuisine était simple, basique et familiale,
se répétant souvent, ritournelle immuable.


Qu'il est loin ce pays du monde de l'enfance
dont l'adulte est banni, dont il rêve parfois,
que le temps de l'oubli efface peu à peu
ne laissant dans les cœurs qu'une douce mélodie.


Chaque samedi matin quand papa se levait,
le silence des chambres était assourdissant.
Personne ne bougeait mais l'odeur du café,
des tartines grillées et de la confiture,
débarquait insidieuse dans notre demi-sommeil,
nous poussait hors du lit, mieux que l'ogre n'aurait fait.

Tout autour de la table, on se retrouvait là,
quelques mots échangés mais pas de grands mystères,
ce qu'il fallait sans doute pour parer les silences
du voile convenu d' habitudes bien ancrées.
On échangeait chacun des pépiement d'oiseaux,
des coups de coude discrets.


Qu'il est loin ce pays du monde de l'enfance
dont l'adulte est banni, dont il rêve parfois,
que le temps de l'oubli efface peu à peu
ne laissant dans les cœurs qu'une douce mélodie.


Le dimanche en cuisine papa se détendait,
le moment que maman attendait, espérait:
s'éloigner de ces tâches qui n'étaient pas son propre.
Beefsteak-frites très rouge pour chacun d'entre-nous.
Les frites, c'était la fête aucune contestation,
Les matchs à la télé, le pensum du dimanche.

Il me reste toujours dans un coin de la tête
ces musiques génériques d'émissions sportives,
cet arrière goût discret de meurtre et de vengeance
qui emplit les dimanches sans aucune exception
et me laisse en mémoire la même tristesse subite
qu'un grand jour de grisaille, temps de pluie et d'ennui.


Qu'il est loin ce pays du monde de l'enfance
dont l'adulte est banni, dont il rêve parfois,
que le temps de l'oubli efface peu à peu
ne laissant dans les cœurs qu'une douce mélodie.


Pour les matchs en direct, le rugby était roi
et tous les supporters assis sur les gradins
suivaient la balle ovale entre les deux poteaux,
que suivait l' accolade des joueurs enthousiastes,
de longues embrassades que papa détestait:
un exemple peu viril à montrer à son fils.

Le monde de Papa, c'était sport et famille
et celui de Maman, ses enfant et les arts.
Et papa, dans son coin, qui regardait Maman,
l'aimait sans rien lui dire mais la trouvait très belle.
Alors il se taisait et regardait partir,
l'enfant qui la suivait et qui parlait musique.


Qu'il est loin ce pays du monde de l'enfance
dont l'adulte est banni, dont il rêve parfois,
que le temps de l'oubli efface peu à peu
ne laissant dans les cœurs qu'une douce mélodie.


Quand je me retrouvais, montant la rue du Port
complice avec maman dans la fébrilité
d'une sortie nocturne, j' imaginais déjà
les lustres mordorés d'un plafond d' Opéra,
J' entendais émouvantes les harmonies discrètes
d'une œuvre de Fauré montant jusqu'au balcon.

Dans quel pays lointain se cachent ces harmonies
du monde de l'enfance au rythme de l'oubli
effaçant pour toujours la voix massive de l' ogre
qui, les années passant, se dévoile grand père
et l'enfant qui racontent, lui-même devenu père,
reprenant ce même rôle avec plus de douceur.


Qu'il est loin ce pays du monde de l'enfance
dont l'adulte est banni, dont il rêve parfois
que le temps de l'oubli efface peu à peu
ne laissant dans les cœurs qu'une douce mélodie.

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